Entretien avec Nina Gorlier

Nina Gorlier

Nina Gorlier est une autrice dont j’aime beaucoup la plume, et qui a publié cette année son troisième roman, Le Reflet Brisé. Pour l’occasion je lui ai posé quelques questions.

Merci Nina d’avoir bien voulu répondre à mes questions ! 🙂

Bonjour Magali ! Merci à toi de m’inviter sur ton blog pour cette interview 🙂

Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis Nina Gorlier, autrice de SFFF passionnée par les contes, les folklores et les mythologies. Je suis publiée chez Magic Mirror Editions et prochainement aux Editions du Chat Noir. En parallèle de ma vie d’autrice, je suis professeure documentaliste dans un collège. Et je tiens également un blog littéraire appelé Moonlight Symphony.

Après La Belle et la Bête, revisité dans La Bête du Bois Perdu, et Les Sept Corbeaux, revisité dans La Mélodie des Limbes, Le Reflet Brisé réécrit Blanche-Neige, du point de vue de la Méchante Reine. Comment t’es venue l’idée de revisiter ce conte, et de ce point de vue en particulier ?

Grâce à la collection Bad Wolf de Magic Mirror Editions, consacrée aux antagonistes de conte. J’avais déjà publié dans les collections Enchanted et Forgotten, je voulais donc tenter l’aventure du côté des “méchants”. Le choix de Blanche-Neige était un défi pour moi car j’ai eu pendant longtemps un rapport particulier à ce conte, faussé par le film Disney. D’un côté, je trouvais l’héroïne insipide, de l’autre la version “vieille sorcière” de la reine me terrifiait. Plus tard, j’ai appris à redécouvrir ce conte à travers le texte original des Frères Grimm. La Méchante Reine est une femme exerçant seule le pouvoir à une époque où la place des femmes n’était pas aussi reluisante. Je voulais donc me pencher sur ce personnage d’exception tout en dépoussiérant son image et, par la même occasion, redonner un peu de piquant aux autres personnages.

L’héroïne, Kirsten, se dévoile au fur et à mesure du récit. Femme complexe, fascinante et terrifiante tout à la fois, elle incarne avec majesté la Méchante Reine. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu l’expérience d’écrire ce personnage de méchante ?

C’était parfois un peu laborieux. Même avec du recul, je ne sais pas comment j’ai fait pour mettre Kirsten sur papier. D’après le retour des premiers lecteurs, c’est un personnage que l’on aime ou que l’on déteste. Pour moi, je passais de l’un à l’autre en fonction des scènes. Ce fut un travail fascinant en tant qu’autrice de pouvoir explorer les méandres de sa psyché. Je voulais expliquer qui elle était sans pourtant excuser ses actions. Comprendre son parcours sans le porter aux nues. Parfois, rester trop longtemps dans sa tête était épuisant, alors les passages du point de vue de Weiss et Kai étaient des bouffées de fraîcheur. Mais Kirsten reste tout de même le personnage dont je suis le plus fière aujourd’hui.

L’histoire se déroule au XVIe siècle, avec des royaumes imaginaires inspirés des configurations historiques. Les mœurs, les costumes… tout est là pour nous immerger dans cette Renaissance alternative. Pourquoi avoir choisi cette époque pour situer ton histoire ?

J’ai toujours associé Blanche-Neige à cette époque. Je ne sais pas si c’est à cause des adaptations plaçant l’intrigue au cœur de la Renaissance allemande, mais pour moi c’était une évidence. Ajoutons à cela mon amour pour les films et séries se déroulant durant cette période. La Renaissance est également la sortie de l’obscurantisme après le Moyen-Âge. Je trouvais que des personnages comme Kirsten et Weiss, en avance sur le temps ou en décalage avec leurs pairs, réprésentaient bien ce renouveau, cette transition d’un monde à l’autre.

Le Reflet Brisé se présente comme de la fantasy historique, avec une absence presque complète de magie. Un choix surprenant, étant donné que la Méchante Reine est aussi appelée la Reine Sorcière, du fait de ses pouvoirs magiques. Ce choix ne retire pas pour autant son aura glaçante au personnage, bien au contraire. Pour quelle raison as-tu préféré ce contexte plus historique que fantasy ?

Tout est parti du miroir, du reflet qui donne son titre à mon roman. Quand on pense à la Méchante Reine, on pense immédiatement à son fameux miroir magique, dépeint de multiples façons dans les différentes adaptations. Parfois un visage grimaçant chez Disney, parfois un double pour la version campée par Julia Roberts ou bien une forme dorée se détachant de sa prison dans la version de Charlize Theron. Je me suis donc demandée : quelle serait la mienne ?

J’ai préféré me rendre à la limite du fantastique, laissant planer le doute. Ce reflet avec qui s’entretient Kirsten, existe-t-il réellement ? Est-ce un miroir maudit ayant déjà condamné son ancienne propriétaire ou bien n’est-il que le produit de l’esprit malade de Kirsten ? C’est aussi le cas pour ces “femmes de la forêt” que nous rencontrons au fil du récit. Sont-elles de véritables sorcières ou bien de simples guérisseuses ostracisées par un peuple trop méfiant ?

Le récit est construit en trois actes, avec la présentation des personnages en préambule, à la façon d’une pièce de théâtre. L’intrigue va crescendo, avec l’emphase et les retournements de situations digne des plus belles pièces dramatiques. Cela m’a rappelé certaines pièces de Shakespeare, qui mettent en scène des personnages d’anti-héros, comme Othello. Que penses-tu de cette comparaison ?

Elle est très pertinente 🙂 J’ai construit Le Reflet Brisé comme un drame en trois actes. Le personnage de Kirsten, par son rapport au pouvoir, a tout de l’une de ces têtes couronnées shakespearienne, telle une Lady Macbeth ou un Richard III. Je rajouterai également l’influence d’un autre dramaturge : Racine. Je parle souvent de mon roman comme d’un mélange entre Blanche-Neige et Phèdre et je laisse à tes lecteurs la curiosité de trouver pourquoi.

Le roman aborde la thématique du pouvoir, au travers des différents personnages et de leur rapport avec ce dernier – certains le convoitent, d’autres le subissent, d’autres, encore, le rejettent. Un thème aussi fort que riche, que tu abordes de façon complète, sous ses différentes facettes. Est-ce un thème qui te fascinait particulièrement ?

Pour moi, il est indissociable de la Méchante Reine. Comme je le disais plus haut, c’est une figure d’exception dans un monde d’hommes. Certes, elle est devenue reine en épousant le père de Blanche-Neige, mais ensuite ? Comment a-t-elle fait pour conserver seule le pouvoir après le décès de celui-ci ? L’intrigue se déroulant à la cour, le pouvoir ne pouvait être que le cœur du roman. Le pouvoir dans ce qu’il apporte, mais aussi ce qu’il détruit.

Je voulais me pencher sur les différents rapports au pouvoir selon les genres. Durant cette époque, on ne peut pas agir pareil si on est un homme ou une femme. Le Reine n’a pas les mêmes droits et la même influence que son époux. On pardonne au prince Weiss des écarts que Kirsten ne pourrait jamais se permettre.

Plus précisément, je voulais dresser le portrait de différentes femmes de la cour. Outre Kirsten, nous rencontrons d’autres dames de la noblesse gravitant autour de la couronne : Annelise, la princesse de l’empire voisin, Sophie, la mère de Kirsten, Claude, sa dame de compagnie, Angela et Lotte, les favorites du roi… Chacune d’elles montrent un rapport différent du pouvoir et la façon de l’obtenir (et le garder) en tant que femme.

Tout au long du roman, Kirsten dispute régulièrement des parties du jeu des Hespérides, qui mélange jeu d’échecs et mythologie, tout en offrant une version subtile des jeux de pouvoirs en cours, offrant ainsi davantage de profondeur aux intrigues qui se tissent au sein du château. J’ai trouvé cette idée géniale et adoré les scènes où ont lieu ces parties. Comment as-tu imaginé ce jeu ?

Je voulais à tout prix que mes personnages disputent des parties d’un jeu de stratégie. Malheureusement, je ne connais pas assez les échecs pour bâtir des scènes entières dessus. J’ai donc imaginé le jeu des Hespérides car je pouvais en dicter moi-même les règles. J’y ai trouvé l’occasion d’y mettre mon amour pour la mythologie comme je le fais à chaque fois. Dans le mythe, les Hespérides sont des nymphes chargées de garder un arbre aux pommes d’or. Hercule, pour son onzième travaux, devait dérober ces fruits merveilleux. Un joueur incarne donc les nymphes devant protéger le pommier, l’autre incarne Hercule devant voler les pommes.La symbolique de la pomme est, je pense, assez évidente quand on la rapproche de celle de Blanche-Neige. Outre le fruit interdit, la pomme est ici symbole du pouvoir, car c’est là le véritable enjeu. Après tout, c’est une pomme d’or où il était gravé “à la plus belle” qui est à l’origine de la Guerre de Troie.

Il y a trois parties d’Hespérides notables dans Le Reflet Brisé, située à des moments charnières de l’intrigue. Chacune d’elle est une mise en abyme de la scène, révélant les véritables enjeux de la confrontation, les forces et faiblesses des personnages. Le choix des pions a également un sens. Chaque pièce représente un personnage. Le roman, dans son ensemble, est une partie d’Hespérides grandeur nature.

J’ai noté la présence discrète d’autres éléments du conte – le corset, le peigne – est-ce un clin d’oeil délibéré à ces épisodes du conte originel, comme les cailloux blancs du Petit Poucet ?

Je ne peux pas m’empêcher à chaque réécriture de glisser ce que les anglophones appellent des easter eggs, des petits clins d’œil que certains passionnés de contes pourront relever. Dans La Bête du Bois Perdu, c’étaient l’apparition de personnages issus d’autres contes de fées. Dans La Mélodie des Limbes, c’étaient les noms des personnages ou la symbolique des lys, reprise des Douze Frères, une variante des Sept Corbeaux.

Dans Le Reflet Brisé, je voulais à tout prix glisser quelques clins d’œil à des éléments oubliés du conte original, comme les premières tentatives de la Reine pour tuer Blanche-Neige ou même la fin tragique de la souveraine, assez cruelle dans le conte. Il y en a d’autres aussi, comme les noms de Weiss, Bianca, Yuuki ou Waldeck (sauriez-vous trouvé leur signification ?). Et puis, comme je ne peux pas faire simple, il y a aussi des références à mes autres réécritures de contes d’un roman à l’autre. Le genre de détails que personne ne remarquera à part moi x)

Dans La Bête du Bois Perdu, tu avais écarté l’histoire d’amour du conte au profit d’un approfondissement du côté bestial et sombre de la Bête. Dans Le Reflet Brisé, le rôle de Blanche Neige est attribué à un homme, Weiss, ce qui offre un angle de relecture intéressant, en interrogeant notamment la différence de traitement des hommes et des femmes de même niveau social. Des choix originaux, qui offre des revisites rafraîchissantes de ces contes célèbres. D’où te vient ton inspiration pour tes revisites de conte ?

Les contes ont déjà été adaptés et réécrits tant de fois, j’ai parfois peur de faire une redite. Je cherche donc l’originalité, à sortir des sentiers battus, à proposer aux lecteurs autre chose. C’est là toute la difficulté de la réécriture de contes : le roman doit à la fois être un terrain familier pour le lecteur, tout en parvenant à le surprendre.

Pour Le Reflet Brisé, l’idée m’est venue de l’appel à texte Inversions de Magic Mirror, proposant d’inverser le genre d’un personnage. En faisant de Blanche-Neige un homme, j’ai tout de suite eu en tête de nouveaux enjeux pour le personnage et un nouveau rapport avec la Reine.

Pour La Bête du Bois Perdu, c’était un peu mon esprit de contradiction. La Belle et la Bête étant l’un des contes les plus connus et appréciés, adapté maintes fois, je me suis demandée : comment m’en démarquer ? Le conte est connu pour son histoire d’amour, eh bien retirons-la ! C’était un pari risqué mais réussi auprès du comité de lecture.

As-tu un ou des projets en cours d’écriture ? Peux-tu nous en parler ?

En ce moment, je suis en plein travail éditorial sur Miranda, une novella fantastique qui sortira au mois de juin aux éditions du Chat Noir. Un projet loin des réécritures de contes, assez différent de mes premiers romans par le fond et par la forme.

J’ai plein de projets en tête, peut-être même un peu trop… Je vais donc me contenter du concret. Il y a quelques mois, j’ai terminé l’écriture d’une nouvelle pour un projet de recueil chez Magic Mirror Editions qui, normalement, verra le jour en 2023. Plus récemment, je viens de terminer le premier jet d’un roman de fantasy Young Adult, le premier tome d’une trilogie. Je ne sais pas si celui-ci trouvera une maison d’édition qui voudra bien de lui, mais l’avenir nous le dira. Croisez les doigts pour moi !

Puisque je parle lectures sur ce blog, tu n’échapperas pas à la question-piège 😉 Quel est ton livre préféré ?

Que c’est dur de n’en choisir qu’un ! Je vais donc tricher et en donner plusieurs x) Pour moi, Les Misérables est un classique intemporel que je porterai toujours dans mon cœur. Mais récemment, j’ai lu deux romans qui m’ont chamboulée : Le Chant d’Achille de Madeline Miller et La Nuit des Temps de Barjavel. Je suis loin d’être une romantique, pourtant ces deux histoires d’amour m’ont bouleversées. Il est peut-être trop tôt pour le dire, mais il est fort possible que ces deux oeuvres m’aient marquée à jamais.

Pour finir, aurais-tu un ou des conseils à donner à d’autres auteurs et autrices ?

Aïe ! C’est peut-être ça, la véritable question piège ? Je ne sais pas si je me sentirai un jour assez légitime pour donner des conseils, mais je peux me baser sur mon expérience en tant que jeune autrice et les erreurs que je ne fais plus :

Ecrivez dès que vous le pouvez, même si vous sentez que “l’inspiration” n’est pas là, que vous pensez que votre premier jet n’est pas parfait. C’est justement le but d’un premier jet, que vous allez pouvoir peaufiner ensuite. Si vous persistez à écrire et réécrire le même passage parce qu’il ne vous convient pas, vous n’allez jamais avancer dans votre projet. De plus, vous n’aurez pas le recul nécessaire et votre scène risquerait de vous sortir par les yeux. Il est préférable d’avancer et de revenir dessus une fois l’ensemble fini, car vous aurez plus de recul pour déceler le “problème”. Et vous constaterez que le problème en question n’était pas si énorme que ça.

Un fois votre roman publié, ne vous précipitez pas sur tous les retours des lecteurs. Je suis le genre de personne qui, si elle recevait 99 critiques élogieuses pour 1 critique négative, ne retiendrait que la négative. Depuis, j’ai appris à accepter que mon roman ne serait jamais pour tout le monde, et ce n’était pas grave. Surtout, il faut dissocier votre œuvre de vous-même, même si vous l’avez porté en vous pendant des années. C’est un roman que jugerons les lecteurs, mais pas vous en tant que personne.

Merci pour tes réponses et à bientôt, au détour d’un livre ! 🙂

3 commentaires sur « Entretien avec Nina Gorlier »

  1. J’aime bien les interviews des auteurs et autrices ! C’est toujours passionnant de comprendre ce qu’ils avaient en tête pour un projet de roman, de voir comment ils ont travaillé, leur rapport à leur texte et aux personnages…
    j’espère rencontrer Nina un jour, j’aime bcp ses écrits et la sensibilité très forte qu’elle intègre dedans. C’est tranchant, délicat, sensible, fort et amer à la fois, un cocktail que je trouve bien dosé et que j’apprécie beaucoup.
    J’ai hâte de lire sa prochaine novella au chat noir !!

    Merci beaucoup pour cette interview passionnante 🙂

    1. Merci Zoé ! 🙂 contente que cette ITW t’ait plu ! 🙂 J’aimerais en faire plus souvent mais je manque de temps… 😦
      j’espère aussi rencontrer Nina un jour, j’adore sa plume et ses textes sont riches en thématiques et symboliques (et je compte bien lire sa novella aussi ;))

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