La bibliothèque, la nuit : une visite virtuelle de bibliothèques

Photographie Stéphane Bourgeois (courtoisie Ex Machina)

Du 16 mai au 13 août 2017 à Paris, puis du 20 septembre 2017 au 7 janvier 2018 à Nantes, s’est tenue l’exposition La Bibliothèque, la nuit. Une exposition qui avait ceci de particulier qu’elle se présentait sous la forme d’une visite virtuelle. Chaque visiteur pénétrait dans une pièce meublée à la manière d’une ancienne salle d’étude et se voyait remettre un casque de réalité virtuelle. Une fois celui-ci enfilé démarrait une visite virtuelle de dix bibliothèques – réelles ou fictionnelles.

L’exposition, créée par Robert Lepage et sa compagnie Ex Machina, porte le même titre qu’un ouvrage d’Alberto Manguel et, de fait, elle a été inspirée par celui-ci. L’auteur accompagne d’ailleurs les visiteurs puisqu’il narre les explications qui illustrent chaque bibliothèque. J’ai eu l’occasion de visiter l’exposition et j’ai beaucoup apprécié cette promenade virtuelle, d’autant plus que certaines des bibliothèques visitées avaient été évoquées sur mon blog, dans ma série de billets sur les bibliothèques du monde (série qui, bien qu’en dormance, sera réactivée cette année).

Le livre à l’origine de l’exposition

Dix bibliothèques, disais-je donc. Petit tour d’horizon. Une fois le casque en place, l’exposition démarre. On se retrouve projeté dans une forêt et, en tournant la tête, on
constate que l’on est non seulement entouré d’arbres, mais aussi de symboles. Chaque symbole équivaut à une bibliothèque.

L’avantage de la réalité virtuelle permet de se déplacer tant dans l’espace que dans le temps, et même dans l’imaginaire ! Ainsi, les visites des bibliothèques de Sainte-Geneviève (Paris), de José Vasconcelos (Mexico, Mexique), de l’abbaye d’Admont (Autriche) et du temple Hase-dera (Kamakura, Japon) offrent une balade très réaliste. J’ai particulièrement aimé celle au temple, qui offrait un espace relaxant avec ses ouvertures sur des zones de verdure et son atmosphère sereine. J’ai aussi beaucoup apprécié de découvrir, comme en vrai, la bibliothèque de l’abbaye d’Admont, avec quelques ecclésiastiques qui allaient et venaient pour consulter des ouvrages, sans prendre ombrage de mon invisible présence. Pour chacune, la narration d’Alberto Manguel offrait un éclairage sur son histoire et son architecture passionnant.

La visite de la bibliothèque du Congrès de Washington DC (États-Unis) se présentait sous une forme qui permettait de bien voir les peintures qui illustrent le plafond de celle-ci, ainsi que leur symbolique, fortement liée au lieu. À la manière d’une plate-forme descendante, je me voyais démarrer tout contre le plafond avant de descendre petit à petit vers le sol, d’où le détail des peintures n’étaient plus aussi facilement visible.

La bibliothèque du parlement d’Ottawa (Canada) présentait, quant à elle, un ouvrage en particulier, de très grande taille, consacré aux oiseaux. À chaque page tournée par la bibliothécaire, un oiseau de l’espèce décrite se mettait à voleter sous le haut plafond, jusqu’à ce que l’espace soit saturé de cris d’oiseaux, avant qu’un gardien de nuit ne vienne mettre un terme à ce vacarme. Une façon fort plaisante de mettre en avant un des trésors conservés dans cette bibliothèque, sans avoir à faire le déplacement ! 🙂

Extrait du film sur la bibliothèque du parlement d’Ottawa (Canada) Photographie BnF

En revanche, deux visites permettaient au visiteur de se déplacer tant géographiquement que chronologiquement. Deux visites liées par un point commun : la destruction. Il s’agit des bibliothèque de Sarajevo (Bosnie) et celle d’Alexandrie (Égypte). Concernant Sarajevo, la visite nous emmène au temps de la guerre, lorsque la bibliothèque fut détruite par un incendie. La visite, qui offre une vue de l’intérieur de la bibliothèque disparue (reconstruite depuis) présente également, à travers les vitres, le passage de tanks, d’ambulance et d’une population terrifiée. Par-dessus tout cela s’égrènent les notes d’un violoncelle, joué par un homme qui n’a cessé d’utiliser son instrument durant tout le siège de la ville. L’étrange déséquilibre entre cette musique classique et le chaos, en son comme en images, qui règne au dehors et finit par gagner le bâtiment devenue la proie des flammes, crée un certain malaise. Le même malaise revient lorsque, plongée avec bonheur dans les rayonnages couverts de volumen de la célèbre et mythique bibliothèque d’Alexandrie, je me suis soudainement retrouvée environnée de flammes.

Heureusement, mêler l’espace au temps n’est pas forcément synonyme de guerre ou d’incendie. Ainsi, la visite de la bibliothèque de Copenhague (Danemark) offre une juxtaposition des visiteurs passés, sous la forme de figures fantomatiques, à ceux, fort rares, du temps présent. Une illustration de la différence de fréquentation des lieux, en reflet avec les différences de pratiques de lecture d’autrefois et d’aujourd’hui.

Enfin, il est une visite virtuelle qui nous entraîne au coeur d’une bibliothèque fictionnelle : celle du Nautilus, le fameux sous-marin du capitaine Nemo dans Vingt-mille lieues sous les mers de Jules Verne. Toute en noir et blanc, avec des personnages aussi vivants que s’ils avaient été de chair et de sang, la visite de cette bibliothèque m’a donné la sensation grisante d’avoir plongé dans l’une des gravures illustrant le livre ! 🙂

Pour les passionnés de livres et de bibliothèques, La Bibliothèque, la nuit était donc une exposition permettant de réaliser un rêve, grâce au casque de réalité virtuelle. J’ignore si l’exposition sera de nouveau proposée et, si c’est le cas, dans quelle ville, mais si cela devait arriver, je ne peux que vous la recommander !

Bande-annonce

Bibliothèques autour du monde #4 : l’Egypte

Partons à présent encore plus au sud, vers l’Afrique. Plus exactement au nord de ce continent, en Égypte. Égypte qui, dans l’imaginaire occidental, est terre des pharaons, des pyramides… et d’une bibliothèque très célèbre. C’est de celle-ci uniquement dont je vais parler. Pourquoi seulement une bibliothèque ? Non pas que l’Égypte ne comporte pas d’autres bibliothèques, mais celle-ci a un tel prestige, une telle histoire, qu’elle mérite un billet à elle toute seule. Mais je devrais plutôt parler de deux bibliothèques. L’antique et l’actuelle.

Vous l’aurez deviné, nous allons découvrir la bibliothèque d’Alexandrie ! 🙂

La bibliothèque d’Alexandrie

Il ne reste rien aujourd’hui de ce qui fut l’antique bibliothèque d’Alexandrie. Pourtant, il est impossible de parler de la bibliothèque moderne sans évoquer l’histoire de cette bibliothèque du passé, fleuron du savoir durant l’Antiquité. Une histoire où se mêle la légende, le peu de sources donnant du fil à retordre aux historiens pour établir le vrai du faux. L’historique que je décris ci-dessous est donc à prendre comme tel, un mélange de faits réels et de mythe. Ce qui sied fort bien à cette bibliothèque, empreinte de tant de symboles !

C’est en -288 que Ptolémée Ier Sôter, alors roi d’Égypte depuis la mort d’Alexandre, décide de donner le rôle de capitale culturelle du monde hellénistique à la ville fondée par le célèbre conquérant, et dont elle porte le nom. Alexandrie, donc. Il fait construire un musée qui rassemble à la fois une bibliothèque abritant 400 000 volumes, une académie et une université. La bibliothèque est d’ores et déjà construite dans un but bien précis : rassembler l’ensemble du savoir universel, rien que ça !

Vue de la bibliothèque d'Alexandrie par O. Von Corven, XIXe s.
Vue de la bibliothèque d’Alexandrie par O. Von Corven, XIXe s.

Comme il est assez difficile (on s’en doute) de réunir tout le savoir de l’époque, Ptolémée n’hésite pas à recourir à des procédés discutables. Si une partie du fonds de la bibliothèque est constituée par des achats, d’autres documents sont acquis sur saisie. Malin, Ptolémée aurait même été jusqu’à exiger une copie et une traduction des documents contenus à bord des navires faisant escale à Alexandrie. Et les navires repartaient avec la copie, l’original restant à la bibliothèque. Des copies d’exemplaires déjà achetés ou simplement prêtés sont aussi réalisées pour poursuivre la constitution du fonds.

Ce n’est que sous le règne de Ptolémée II Philadelphe que la bibliothèque d’Alexandrie commence réellement à fonctionner. Ses fonds continuent de s’enrichir, le roi ayant (selon certaines sources) demandé à d’autres monarques qu’ils envoient des documents.  Le musée (qui abrite la bibliothèque) est alors un haut lieu de recherches pour les savants qui peuvent disposer de tous les outils nécessaires à leurs travaux (instruments, jardins zoologiques et botaniques et, bien sûr, collection d’ouvrages).

Plusieurs bibliothécaires se succédèrent au fil des ans pour gérer la bibliothèque, continuer à enrichir son fonds, notamment en commandant des traductions d’ouvrages en grec, langue écrite et parlée de l’époque. Parmi ces bibliothécaires, citons Zénodote d’Éphèse, qui fut le premier à occuper ce poste, Aristophane de Byzance, Aristarque de Samothrace… tous trois étaient des grammairiens, et tous trois ont pris les oeuvres d’Homère pour sujets de leurs travaux. Homère, je ne l’apprendrai pas, étant l’auteur des célèbres Iliade et Odyssée. L’un des bibliothécaires, Callimaque de Cyrène, qui succède à Zénodote à sa mort, rédigea le tout premier catalogue raisonné de la littérature grecque. Un catalogue raisonné, c’est tout simplement un inventaire précis et complet d’oeuvres, ainsi que leur localisation. En somme, le Tables des personnalités dans chaque branche du savoir et liste de leurs écrits de Callimaque de Cyrène pourrait être l’ancêtre des catalogues réalisés par les conservateurs de musées et les historiens de l’art de nos jours !

Ce catalogue couvrait pas moins de 120 rouleaux d’inventaire. Des rouleaux ? Mais oui ! Ou plutôt devrais-je dire volumen. À l’époque, les livres tels que nous les connaissons n’existaient pas encore. Les documents écrits l’étaient sur des rouleaux, réalisé majoritairement à base de papyrus. On les appelle des volumen. Ce n’est qu’autour du IIIe siècle que le codex commence à se répandre. Le codex, c’est le livre sous la forme que nous connaissons, à savoir un ensemble de feuillets reliés. À l’époque, les feuillets étaient en parchemin, soit la peau d’un animal apprêtée pour en faire une feuille suffisamment claire pour y écrire.

La bibliothèque d'Alexandrie dans Agora, avec Rachel Weisz dans le rôle d'Hypathie ©  © Mars Distribution
La bibliothèque d’Alexandrie dans le film Agora, avec Rachel Weisz dans le rôle d’Hypathie © Mars Distribution

Aux alentours de -145, les savants sont expulsés de la ville sous l’ordre de Ptolémée VIII Évergète. La cause ? De nombreux volumes ont disparus, emportés soit par les savants, soit des pilleurs, ou encore en raison d’un défaut de surveillance.

Quelques siècles plus tard, au plus tard en 642, la bibliothèque d’Alexandrie est détruite. Il existe très peu de sources concernant les causes de cette destruction et plusieurs hypothèses comme dates sont avancées par les historiens. La bibliothèque d’Alexandrie aurait été victime soit de la guerre civile entre César et Pompée, soit de la conquête arabe, ou encore des conflits entre les religions païennes et chrétiennes – hypothèse reprise par le cinéaste Alejandro Amenábar dans son film Agora, qui retrace la vie d’Hypathie, femme savante de l’Antiquité, et qui met notamment en scène la fameuse bibliothèque. Au passage, je recommande fortement le visionnage de ce long-métrage ! 🙂

Toujours est-il qu’il ne reste plus rien de nos jours de cette extraordinaire bibliothèque, qui se voulait lieu de conservation (et de transmission) de tous les savoirs de l’époque. Mais s’il n’en reste aucune trace physique, elle perdure dans l’imaginaire des bibliothèques…

Pour en savoir plus sur la Bibliothèque d’Alexandrie

La Bibliotheca Alexandrina

En 1995 commencent à Alexandrie de titanesques travaux. Titanesques, car le bâtiment n’ouvrira ses portes qu’en 2002. Titanesques, car le but est de construire un centre culturel à l’image de l’antique bibliothèque. Le projet est d’ailleurs mené conjointement par l’Égypte et l’UNESCO.

Concernant le lieu même où est construit le bâtiment, il n’a pas été choisi par hasard. Il est situé à l’emplacement approximatif où l’on pense que se situait son illustre ancêtre aujourd’hui disparue – la fameuse bibliothèque d’Alexandrie dont je viens de parler !

Détail d'un mur extérieur de la Bibliotheca Alexandrina Source
Détail d’un mur extérieur de la Bibliotheca Alexandrina Source

L’architecture du bâtiment, réalisé par une agence norvégienne qui a remporté le concours organisé par l’UNESCO pour l’occasion, est basée sur un plan signé par un ingénieur égyptien, Mamdouh Hamza. Vue du ciel, la forme est circulaire, le diamètre étant de 160 mètres. Située près de la mer Méditerranée, les murs du centre sont en granite gris gravé de différents caractères issus de multiples systèmes d’écriture humains connus – le chiffre de 120 langages est même avancé ! Dès l’extérieur, le ton est donc donné. La Bibliotheca Alexandrina se veut un haut lieu culturel, un lieu de savoir universel, une porte sur le monde. Une volonté affichée sur la page de présentation du site, où sont mentionnés les objectifs de la bibliothèque :

Elle est destinée à être un centre d’excellence pour la production et la diffusion du savoir ainsi qu’un lieu de dialogue et d’échanges entre les peuples et les cultures.
Elle se veut :

  • Une fenêtre du monde sur l’Egypte.
  • Une fenêtre de l’Egypte sur le monde.
  • Une institution pionnière pour relever les défis de l’ère numérique et avant tout.
  • Un centre de tolérance, de dialogue entre les peuples et les civilisations.

Et le soutien de bibliothèques du monde entier dans la constitution des fonds n’est pas sans contribuer à cette volonté de tisser des liens entre les différentes cultures du monde et du temps ! Ainsi, la Bibliothèque nationale de France, partenaire, a donné 500 000 ouvrages francophones, l’Espagne, des documents traitant de la période de domination des Maures dans leur pays. Des institutions du monde entier ont offert des trésors venant de leurs fonds pour apporter leur pierre (ou plutôt devrais-je dire leur ouvrage !) à l’édifice.

Aujourd’hui, si la bibliothèque a la capacité de conserver environ 5 millions d’ouvrages, elle est encore loin d’atteindre ce chiffre maximum mais, année après année, petit à petit, ses collections s’agrandissent. D’autant plus que, loin d’être une simple bibliothèque, la Bibliotheca Alexandrina rassemble également de nombreux autres espaces ! Jugez plutôt : une vaste bibliothèque, six sections spécialisée, un centre d’archives consacré à Internet, quatre musées, un planétarium, un centre de conférences, huit centres de recherche académique, un panorama culturel composé de neuf écrans à multicouches numérisées interactives et un espace qui permet aux chercheurs de modéliser leurs travaux en simulations 3D. Sans compter une dizaine d’institutions culturelles (liste complète de tous ces espaces ici).

L'un des trésors conservés à la Bibliotheca Alexandrina Source
L’un des trésors conservés à la Bibliotheca Alexandrina Source

On s’en doute, avec un tel rassemblement d’institutions culturelles en un même lieu, nombreux sont les trésors à découvrir ! Quelques uns peuvent être admirés ici, dans cette galerie de photos où manquent malheureusement des précisions quant aux documents présentés. La bibliothèque comporte aujourd’hui de nombreux documents en langues arabe, anglaise et française. Elle possède d’ailleurs le plus grand nombre de documents français dans le monde arabe, plusieurs concernant la construction du canal de Suez. Le centre d’archives consacré à Internet, mentionné un peu plus haut, est unique en son genre au monde. Ce n’est pas parce qu’elle marche sur les traces de son illustre ancêtre que la Bibliotheca Alexandrina n’est pas à la pointe de la technologique ! Non, elle est aussi résolument tournée vers l’avenir que vers le passé.

Et également bien ancrée dans le présent : lors du printemps arabe de 2011, elle a organisé un colloque sur le sujet et elle expose sur son site Internet une galerie de photographies illustrant les différents événements de février 2011, notamment les manifestations survenues près du bâtiment.

Véritable haut lieu culturel, pont entre les civilisations (tant présentes que passées et futures), la Bibliotheca Alexandrina n’a vraiment pas à rougir de la comparaison avec l’antique bibliothèque.

Le site de la Bibliotheca Alexandrina (en arabe, français et anglais)