Entretien avec Nelly Chadour

On continue de faire connaissance avec les autrices de la Ligue des Écrivaines Extraordinaire. Cette fois, c’est Nelly Chadour qui se colle à l’exercice. Nelly Chadour dont j’ai récemment lu (et adoré !) le roman Hante-Voltige et qui, pour la Ligue, va nous propose un autre roman tout aussi haut en couleur (en tout cas, au vu de ses réponses, il promet de l’être !) :

Bonjour Nelly Chadour, bienvenue sur ce blog et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! 🙂

J’aurai volontiers répondu « tout le plaisir est pour moi », mais se prendre un coup de fourche dans la partie la plus joufflue de votre anatomie n’est pas une expérience que je souhaiterais renouveler.
(Quoi ? Démona, méchante ? Seulement en dehors des heures de repas)

Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 43 ans, je suis une employée de bureau bouffée par le stress qui essaie de pratiquer le dessin, la cuisine alternative sans tuer les invités, et des fois j’écris. Des nouvelles et des romans, principalement. Et j’ai réussi à persuader des éditeurs comme les Moutons Électriques, les Saisons de l’Étrange, Rivière Blanche, les Artistes Fous Associés et le Carnoplaste que mes récits souvent sanglants allaient plaire à un large public et rapporter des sommes astronomiques. Haha, les fous !

Comment as-tu rejoint La Ligue des Écrivaines Extraordinaires ?

Par le piston, bien sûr ! Quand l’infâ… l’admirable Démona s’est mis en tête d’imiter son abominable cousin, le Maître de l’Étrange pour lancer une nouvelle collection de romans, celui-ci s’est empressé de nous présenter en précisant, le fourbe, que je ne travaillais jamais aussi bien que sous la pression. Et me pressurer, Démona, elle sait y faire, bordel de m… je veux dire, sacrebleu !

Qu’est-ce qui t’a plu dans ce projet ?

Tout d’abord le côté pulp assumé, et l’occasion aussi de nous venger du piteux Abraham Lincoln chasseur de Vampires. Et le fait que le projet soit porté par des femmes nous permettant de lever bien haut l’étendard sans-gland ! (ce jeu de mots vous a été infligé par la Ligue des Écrivaines à l’Humour d’Étron, à ce jour composée d’une seule personne)

La Ligue propose des romans mettant en scène des autrices classiques luttant contre des monstres légendaires (parfois issus de leurs propres œuvres). Peux-tu nous parler de ton roman en particulier, de son autrice-personnage et de son adversaire ?

Dans ce roman, j’ai le terrible devoir de faire vivre trois autrices, les Sœurs Brontë. Grand frère et papa Brontë font aussi une apparition. Je reprends des éléments véridiques de leur vie comme point de départ de mon histoire : le jour où Anne et Charlotte voyagèrent jusqu’à Londres pour se rendre chez leur éditeur, George Smith, afin de dénoncer une rumeur prétendant que les trois romans de chaque sœur étaient l’œuvre d’un seul homme. Favorablement impressionné par les écrits de ces femmes, et leur personnalité, Smith leur porta des marques d’affection sous forme de cadeaux, de soirées à l’opéra et de visites de la ville. Dans notre récit, la prise de contact est toujours aussi favorable, mais notre jeune éditeur a la mauvaise idée d’inviter les deux sœurs à assister à un spectacle étrange : le démaillotage d’une momie dans un muséum. Pendant ce temps, Emily, la plus sauvage des Brontë, demeurée dans le Yorkshire pour veiller sur leur frère Branwell malade de l’alcool et de l’opium, voit s’éveiller une créature monstrueuse, enterrée depuis des millénaires dans les landes.
Je me suis énormément penchée sur les personnalités des trois sœurs, leur vie heureuse dans un bled paumé du Yorkshire, au milieu des livres, des soldats de plomb de leur frère, et qui ont donné naissance à ce Royaume Imaginaire qui a occupé les loisirs des quatre enfants, Glass Town, puis, après scission, l’Angra de Charlotte et Branwell et le Gondal d’Emily et Anne. Il y a beaucoup à dire sur cette famille qui a eu un destin assez rock’n’roll malgré une vie qui avait pu paraître sage et rangée : l’alcoolisme du frère, jadis le plus brillant, suite à un échec amoureux, leur mort précoce, la passion pour l’écriture qui les a fait noircir, lettres, cahiers…
Et chaque sœur possédait une personnalité romanesque. La plus fascinante était Emily, peu sociable, préférant les livres et les animaux à la société des hommes, et qui a pourtant dépeint l’enfer des passions humaines dans son seul roman, les Hauts de Hurlevent. Dans mon livre, j’en ai fait une femme d’action, très attachée à sa jeune sœur Anne, douce et pondérée. Toutes deux étaient souvent comparées à des jumelles tant leur lien était fort et j’ai exploité cet amour sororal pour leur faire don d’un pouvoir bien particulier que je vous laisse découvrir.
Quant à Charlotte, j’espère que les lecteurs me pardonneront d’en avoir fait un personnage au physique ingrat (elle portait des lunettes et il lui manquait des dents) un peu maladroit, avec son franc-parler, les élans de courage propres aux grands timides et le petit béguin qu’elle développe pour leur séduisant jeune éditeur (ce dernier point est basé sur une rumeur).
Ah, purée, et ma créature ? Elle sera un peu différente des autres momies. Oubliez les Boris Karloff, Christopher Lee (hé oui, ils furent tous deux créatures de Frankenstein et momies) et Arnold Vosloo, ne pensez même pas aux momies romantiques de Théophile Gautier ; ce cadavre ambulant, je l’ai voulu plus proche des films de John Carpenter. Mais je n’en dirai pas plus.

Quelle est ton autrice classique favorite et pourquoi ?

J’ai honte mais j’ai toujours eu un faible pour la Comtesse de Ségur. Je ne suis pas sûre qu’on puisse la faire entrer dans la Ligue, mais ses romans me fascinaient tant ils mélangeaient bondieuserie dégoulinante de bons sentiments et cruautés d’un sadisme complaisant (voir les scènes de découpages de poissons par la petite Sophie dans les Malheurs de, le destin d’un des gamins qui s’était moqué de François le Bossu en devenant encore plus infirme que lui ou les camarades de pension d’un des Deux Nigauds qui manquent tuer le jeune héros par du harcèlement très poussé).

As-tu un monstre légendaire chouchou ?

La Fiancée de Frankenstein du film de James Whale. J’ai un tatouage à son effigie sur le mollet gauche.

La question-piège : quel est ton livre préféré ?

L’Homme qui rit de Victor Hugo. Il traite également de la monstruosité physique en la personne de Gwynplaine, le jeune homme horriblement défiguré, et la monstruosité morale avec la Reine Anne, la Duchesse Josiane et tous ceux qui contribueront de près ou de loin à la triste destinée du personnage-titre. Victor Hugo raconte une histoire simple, magnifie les petits moments de bonté humaine avec une emphase qui confine au sublime, un de ses termes préférés. Et j’aime énormément le personnage d’Ursus, le bateleur verbeux qui maltraite par ses mots aussi bien qu’il sait soigner par ses gestes.

Pour finir, aurais-tu un ou des conseils à donner à d’autres autrices ?

Comme toujours, lire, lire, lire, et les ouvrages les plus variés, pour se forger un vocabulaire, un style, mais sans chercher à écrire à la manière de… Notre travail doit être la somme de toutes nos lectures. Et créer avant tout le récit que nous, lectrices, désespérons de lire un jour, écrire notre roman idéal.

Merci pour tes réponses et à bientôt, au détour d’un livre ! 🙂

Si je survis à celui-ci !

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