Contes et récits fantastiques, Théophile Gautier

Quatrième de couverture

Fables de vampires, histoires de doubles et de sortilèges, ce recueil évoque par bien des traits une taverne allemande d’Hoffmann, avec ses monstres inquiétants et ses fantômes grinçants. On y retrouve, en effet, les thèmes chers à la première génération romantique, et notamment sa fascination pour le fantastique venu d’Écosse ou de Rhénanie. À ceci près, cependant, que Théophile Gautier imprime sa marque propre à cet univers trouble de la rêverie humaine : chaque récit reçoit un supplément d’angoisse et de surnaturel qui renforce sa dimension fantastique et l’agrémente d’un surcroît de mystère.

Mon avis

Jeune adolescente, j’ai fait mes premières incursions dans la littérature fantastique sous le patronage de deux types d’auteurs : les maîtres contemporains de l’horreur (Stephen King, Dean Koontz, Graham Masterton) et les classiques du XIXe siècle (Guy de Maupassant, Prosper Mérimée, Théophile Gautier). Alors, quand Alphonsine a lancé son Challenge XIXe, j’ai tout de suite pensé à ces derniers. Récemment, suite à une désagréable lecture de SF (Les Perséides de Wilson, qui m’a autant déprimée que déçue), et au vu de l’ambiance anxiogène ambiante, je suis retournée vers mes premières amours en terme de littérature fantastique, vers une valeur sûre, à savoir : les Contes et récits fantastiques de Théophile Gautier.

La plume de Théophile Gautier, à l’instar de nombreux auteurs de cette époque, n’est pas avare en descriptions. Mais qu’à cela ne tienne ! Les portraits de personnages – en particulier féminins – sont brossés avec moultes comparaisons et métaphores, les lieux dépeints avec une grande minutie. Pour nous, lecteurs du XXIe siècle, ces descriptions si précises sont une vraie manne ! D’autant que l’auteur se permet de temps à autre de briser le quatrième mur en s’adressant directement au lecteur ou en laissant transparaître, ici ou là, une pointe d’humour voire un trait d’ironie. Bref, malgré les descriptions et les entrées en matière qui peuvent parfois courir sur plusieurs pages, on ne s’ennuie pas !

Théophile Gautier aime également nous abreuver abondamment de références culturelles. Que ce soit en mythologie gréco-romaine, en peinture, en sculpture, en théâtre ou littérature, les noms propres abondent au fil des récits. Mon édition comporte des notes détaillées, en fin d’ouvrage, ainsi qu’une préface touffue, ce qui permet de débroussailler un peu toutes ces références. Pour ma part, cela ne me pose pas de problème : j’y vois là un instantané de la culture d’un homme de lettres de cette époque et une occasion comme une autre de découvrir des oeuvres que je ne connaissais pas.

Le point commun des nouvelles figurant dans ce recueil sont, sans aucun doute, les femmes et les folies qu’elles provoquent. Chacune des principales protagonistes se voient dépeintes comme ayant une beauté telle qu’elle en est surnaturelle. Chacune, même les plus humaines, semblent appartenir à une autre espèce tant leur beauté est parfaite. Certaines sont fatales, d’autres innocentes, toutes font tourner la tête des protagonistes masculins, les menant parfois à leur perte. J’ai trouvé que les descriptions riches en métaphores, profuses en détails pour souligner la beauté de ces femmes et l’intensité du désir qu’elles suscitaient chez ces messieurs, témoignaient d’une belle emphase que l’on ne s’attend pas forcément à trouver dans des écrits du XIXe siècle, époque connue pour sa retenue et son silence en ce qui concerne les relations amoureuses.

Passons à présent à un petit retour, nouvelle par nouvelle :

La Cafetière est probablement l’un des deux textes que je connais le mieux. Je pense même que j’ai du l’étudier en cours. Où l’on découvre l’aventure nocturne d’un jeune homme, qui voit objets et habitants des tableaux s’animer. Un texte très court, à la chute brutale pour le protagoniste !

Omphale reste bref également. Nous restons dans un thème similaire à celui de La Cafetière, avec un jeune héros qui s’amourache d’une figure féminine surnaturelle. Le ton est léger, coquin même (parler d’érotisme serait exagéré mais on se doute très facilement de la raison de la fatigue de notre héros, si sollicité la nuit ! ^^). La chute est à la fois cocasse et douce-amère.

La Morte amoureuse est l’autre texte que je connais le mieux du recueil. C’est probablement, également, l’un des plus célèbres de Théophile Gautier. Il figure dans nombres d’anthologies consacrées à la figure du vampire, et pour cause, c’est là la nature de la Morte amoureuse du titre ! Pourtant, point de frissons ou de scènes sanglantes à profusion, La Morte amoureuse est avant tout le récit de la déchéance d’un tout jeune prêtre, envoûté par la courtisane Clarimonde.

La Chaîne d’or ou l’Amant partagé est le premier texte du recueil à ne pas comporter d’élément fantastique. Sis en Grèce antique, l’intrigue nous entraîne à la suite de Plangon, une hétaïre, et son amant, Ctésias, qu’elle chasse après avoir appris qu’elle n’est pas la première qu’il ait aimée. La chute, surprenante pour l’époque, tirera un sourire au lecteur contemporain.

Une nuit de Cléopâtre ne comporte pas non plus d’élément surnaturel. Le texte offre une débauche de descriptions des richesses de Cléopâtre, telle qu’elle semble surréaliste. Cléopâtre, aussi belle que cruelle, qui, découvrant qu’un simple homme du peuple s’est amouraché d’elle, va lui offrir une unique nuit en échange de sa vie. Un singulier portrait de l’ennui, la vanité et la cruauté qui peut habiter celles et ceux qui possèdent tant de trésors qu’ils en perdent leur humanité.

La Toison d’or nous replace dans le contexte historique du XIXe siècle. Tiburce, amoureux des belles toiles, se rend dans les Flandres à la recherche des beautés blondes magnifiées par Rubens. Sa quête sera bien plus difficile qu’il n’y pensait au premier abord ! Véritable cri d’amour pour la peinture, mais aussi pour ses modèles, La Toison d’or est un texte plus sympathique que le précédent, notamment par sa chute, où, pour une fois, le salut vient de la femme aimée plutôt que le coup fatal.

Le Pied de momie est un autre texte bien sympathique. Nous retrouvons la fascination de l’auteur pour l’Égypte antique à travers ce pied momifié, acheté pour servir de presse-papiers. Suit l’aventure nocturne de l’acheteur, qui voit débarquer la propriétaire de ce pied ! Rien de terrifiant dans l’histoire – nous restons dans le ton des autres nouvelles de Gautier, avec de l’amour irraisonné, instantané, une pointe d’humour, et une chute qui laisse le héros pantois !

Le Roi Candaule se place dans un tout autre registre. Plus longue et sise à nouveau en Grèce antique, cette nouvelle place cette fois son personnage principal féminin dans le rôle de la femme fatale. Dotée d’une beauté éblouissante, comme toutes les protagonistes féminines des autres nouvelles, Nyssia a été élevée dans un pays où il est d’usage de masquer ses traits. Seul le mari peut jouir de la vue de sa femme. Or, elle est si belle que le roi, son époux, ne résiste pas à dissimuler son capitaine dans la chambre pour qu’une autre personne sache à quel point sa femme est belle et ainsi pouvoir s’en vanter (on s’en doute, cette décision sera tout sauf bonne…). Gautier y réinterprète également l’histoire de Gygès, que pour ma part je connaissais surtout pour l’épisode de l’anneau qui rend invisible, trouvé dans un cheval d’airin – anneau qui ne joue aucun rôle dans l’histoire et est seulement mentionné.

Arria Marcella nous emmène cette fois à Pompéi, à nouveau au XIXe siècle. Où un jeune homme s’éprend de la forme immortalisée d’un sein de femme, gangue creuse de cendres. Si on frôlait le fétichisme avec Le pied de momie, cette fois, nous sommes en plein dedans ! À l’instar d’autres textes de Gautier, notre héros vivra une aventure nocturne qui le bouleversera à tout jamais et sa séductrice, vue comme une femme fatale.

Avatar est l’un des deux plus longs textes du recueil. Son entrée en matière est un peu longue mais on finit par se laisser prendre à cette histoire. Octave est épris d’une femme inaccessible, parfaite, mariée à un époux lui aussi parfait et, de surcroît, le couple est si amoureux qu’Octave ne peut espérer séduire l’objet de ses pensées. Cet amour sans retour le tue à petit feu. Il rencontre un docteur mystérieux, qui a longuement séjourné en Inde et en est revenu porteurs de secrets mystiques. Ce docteur lui propose une solution à son problème : transférer son âme dans le corps du mari ! Difficile de ne pas frissonner face à cette nouvelle sur le thème du vol de l’identité.

Jettatura clôt le recueil avec une nouvelle très longue et bien sombre. Le héros de cette histoire est en effet porteur du mauvais oeil et les conséquences de cette affliction seront terribles.

Relire ces textes a été un régal, entre frissons et délectations, selon les chutes plus ou moins heureuses des différentes nouvelles. La plume de Théophile Gautier, si elle est parfois trop généreuse en descriptions et références pas forcément connues, reste délicieuse. La nostalgie joue sans doute également dans le plaisir de ma relecture mais au vu des ambiances et des différentes trouvailles dans ces amours surnaturelles, il n’est pas surprenant que ces Contes et récits fantastiques aient trouvé leur place aux côtés des autres textes classiques du genre et de l’époque.

Édition Le Livre de poche, 2005, 572 pages

Cette lecture s’inscrit dans le challenge XIXe organisé par Alphonsine (validation du sous-menu Le Lys rouge du menu Sociabilités détraquées).

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