Entretien avec Jeanne Mariem Corrèze

Jeanne Mariem Corrèze

Le Chant des cavalières fait partie de mes coups de coeur de l’année 2020. J’ai eu l’occasion de poser mes questions à l’autrice de ce beau roman et voici ses réponses, qui laissent augurer de belles choses pour la suite 😉

Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Olala, ça commence fort, elle est trop complexe cette question, haha. Hm, je suis surveillante dans un collège et il se trouve que j’écris aussi parfois. Je profite du confinement pour me décolorer les cheveux. Je préfère quand il pleut et je pense qu’il faut manger les riches pour sauver le monde.

Comment t’est venue l’idée du Chant des Cavalières ?

C’était d’abord une envie de réécrire des parties de la légende arthurienne avec seulement des femmes, puis ça s’est greffé à un univers que je développais à côté, puis j’ai rajouté des dragons… C’est surtout quand j’ai commencé à écrire sur la citadelle de Nordeau que l’ordre des cavalières a pris réellement forme, même si je ne suis pas sûre de me souvenir exactement comment elle m’est venue. Je crois que c’est lors des nombreuses visites de châteaux que j’ai fait au Pays de Galle qu’Acquilon a fini par apparaître, traversant une cour pluvieuse.
J’avais aussi envie d’écrire un personnage aux prises avec la dépression, Sophie, parce que c’est un combat que je mène chaque jour et j’avais peut-être besoin de mettre ce combat sur papier.

Le Chant des cavalières présente un univers de femmes, racisées de surcroît. Ce sont deux éléments dont l’absence est souvent pointée du doigt dans les ouvrages de fantasy, aux personnages majoritairement masculins et blancs. L’abondance de personnages féminins racisés dans ton roman (que j’ai beaucoup apprécié !) répond-elle à cette volonté de diversité dans la fantasy ou l’histoire se présentait-elle déjà ainsi dans ton esprit lorsque tu l’as construite ?

(Je suis super contente de pouvoir répondre à cette question ! C’était très important pour moi) Eh bien, une partie de ma famille est racisée puisque ma grand-mère est indonésienne et même si j’ai un « passing privilege » assez fort, ma sœur et mon père sont racisés, donc la question ne s’est même pas posée. Et puis, pour citer Mathieu Rivero (auteur de Or et nuit entre autres), lorsque l’on regarde le monde autour de soi, on ne voit pas que des mecs blancs cis-genre. Un roman devrait refléter cette réalité, même (voire surtout) un roman de fantasy.
Pour mes personnages, je suis plutôt un peu jardinière dans ma façon d’écrire (je crois), du coup elles ont poussé ainsi, avec leurs différences et leur richesse. Je n’allais pas les forcer à rentrer dans un moule qui ne leur correspond pas. Aussi, j’avais envie d’une fantasy qui ne repose pas sur un peuple blanc homogène mais sur un mélange de culture : le tissage indonésien, les citadelles européennes, la scansion en trois temps iranienne, etc.

L’organisation interne des différentes citadelles, avec ses rangs d’écuyère, de cavalière et de matriarche m’a rappelé, d’une certaine façon, celle d’un ordre religieux (le dogme patriarcal en moins). Que penses-tu de cette comparaison ?

C’est tout à fait ça ! L’ordre des cavalières est à la fois un ordre militaire et un ordre religieux. Même les prêtresses/nonnes de petites bourgades ou villages sont des cavalières, avec un dragon, un manteau et tout le toutime. Pour le coup, j’ai beaucoup emprunté à l’église catholique avec l’idée de confier des enfants à l’ordre, les pèlerins qui viennent de loin voir des reliques de saintes, mais aussi à l’Islam, avec les ablutions, les tapis de prières et les anciennes qui portent le voile.
Bien sûr, cet ordre forme des enfants soldates (entre autres) donc il est particulièrement problématique…

Photographie personnelle

Les liens entre cavalières et dragons sont très forts, dans le roman, avec notamment le tabou concernant la mise à mort d’un dragon. As-tu été inspirée par quelque chose en particulier lorsque tu as construit ces relations entre cavalières et montures ?

Très bonne question, je ne sais même pas si j’y avais réfléchis avant…
Je suis particulièrement intéressée par la notion de tabou et d’interdits sociaux dans un peuple/une société donnée. Il fallait qu’il y ait un aspect un peu sombre autour des dragons, qu’ils soient sacrés à tel point que les toucher serait interdit (peut-être pour évoquer l’interdit de représenter le visage du Prophète dans l’Islam). Et puis j’ai rajouté un côté un peu malédiction, si quelqu’un tue un dragon, iel mourra aussi.
De plus, les cavalières qui perdent leur dragon voient leurs cheveux se teindre de blanc et rejoignent les rangs des Aînées. Leur espérance de vie se réduit aussi drastiquement. Il fallait que cet avantage guerrier trouve une contrepartie.

La construction du roman permet de suivre les progrès de Sophie, de petite fille ignorante à jeune femme qui prend conscience des intrigues tissées autour d’elle, sans oublier de se concentrer sur plusieurs personnages secondaires à intervalles réguliers. Cette construction permet à la fois de s’attacher aux personnages et de découvrir au fur et à mesure ton univers. Avais-tu un plan précis en tête lors de l’écriture ?

Au début pas vraiment. J’avance plutôt à l’aveugle au départ, parce que j’ai besoin d’écrire un peu, de trouver la voix de mes personnages avant de pouvoir poser la suite de l’histoire. Ensuite, je projette vite le plan de quelques chapitres, en une poignée de lignes, pour savoir un peu où je vais, mais sans jamais m’astreindre à un schéma obligatoire. Comme ça, si les personnages décident de faire ce qu’elles veulent, eh bien je peux les suivre sans trop de regrets (même si en général elles avancent grosso-modo dans une direction commune).
Pour la découverte de l’univers je suis une féroce anti-wikipedia. On ne devrait pas accéder à un monde par des entrées encyclopédiques mais par le regard, l’ouïe et le nez, par une promenade ou une poésie. J’avoue, j’ai triché un peu avec les extraits de texte intra-univers au début des chapitres, mais dans le texte même du roman il ne devrait pas y avoir d’explications qui n’ont pas lieu d’être. Je m’explique. Eliane vit au sein des cavalières depuis ses 8 ans, elle connait leurs us et leurs coutumes sur le bout des doigts, elle traverse donc chaque journée sans s’interroger sur le fonctionnement de sa citadelle, de fait, je ne peux donc pas expliquer ce qu’il se passe, autrement qu’en faisant confiance à l’intelligence du lecteur (et avec un bon usage des adjectifs).

Le final du roman m’a bouleversée (doux euphémisme…). Sans gâcher l’histoire aux potentiels futurs lecteurs, peux-tu me dire si ces dernières scènes ont été difficiles à écrire ? As-tu eu du mal à quitter tes personnages, ton univers ?

Je suis très touchée que tu aies été touchée, héhé.
J’ai beaucoup de mal à quitter ce roman, effectivement. Après les dernières touches au texte, vers novembre 2019, je n’ai pas réussi à écrire quoi que ce soit pendant un bon bout de temps, parce que je n’arrivais plus ou je n’avais pas envie d’écrire d’autres personnages que celles du Chant des cavalières. Depuis la sortie du livre c’est allé de mieux en mieux et puis je triche un peu, en ce moment j’écris Myrddin donc je n’ai pas tout à fait quitté mon univers habituel.
Les dernières scènes du roman ont été mes préférées à écrire, sur le moment. Comme j’ai galéré de ouf à me remettre à écrire après Le Chant des cavalières finalement je trouve qu’elles sont passées trop vite et que j’aurais pu faire durer le plaisir. Mais en dehors de ça, j’ai écrit les derniers chapitres d’une traite, à la suite et je pense que j’avais parfaitement trouvé le ton à ce moment et que ce sont à la fois mes préférés et ceux que j’ai le mieux écrit (enfin c’est perso, hein).
Et pour certaines scènes auxquelles je pense que tu penses, oui j’ai pleuré devant mon ordinateur.

As-tu un ou des projets en cours d’écriture ? Peux-tu nous en parler ?

J’en ai plusieurs ! Mais comme je suis assez lente à l’écriture, il va falloir patienter… (enfin normalement). Tous mes projets sont liés au Chant des cavalières de près ou de loin, l’un porterait sur la vie d’Olivia la chercheuse (mais je tâtonne encore sur quelle voix lui donner) et l’autre sur la vie de Myrddin, le mage de feu (mais j’en suis au tout, tout début). Tous deux des personnages que l’on rencontre dans mon roman. Sinon j’écris aussi une nouvelle sur le règne de la Reine Maude du point de vue de sa plus proche conseillère et sœur de cœur : Dame Oréna.

Puisque je parle lectures sur ce blog, tu n’échapperas pas à la question-piège 😉 Quel est ton livre préféré ?

Je vais tricher et en donner trois, héhé. La Terre qui penche de Carole Martinez, superbe plume féminine d’une douce et incisive à la fois. Orgueil et Préjugé de Jane Austen, un classique. Et Les Sentiers des Astres de Stefan Plateau, parce que qu’est-ce que c’est bien écrit ! Ces trois-là je les relis au moins une fois par an.

Pour finir, aurais-tu un ou des conseils à donner à d’autres auteurs et autrices ?

Trouvez votre rythme d’écriture dans la méthode et dans le style, n’essayez pas de copier ceux des autres sinon le plaisir d’écrire se transformera en corvée.
Et n’oubliez pas qu’en 2020, les mecs cis blancs c’est fini ! ❤

Merci pour tes réponses et à bientôt, au détour d’un livre ! 🙂

3 réflexions sur « Entretien avec Jeanne Mariem Corrèze »

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